La Turquie vue d’ici, entre information et désinformation

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Tout a commencé avec une manifestation pacifique de militants environnementaux et de riverains de la place Taksim visant à contester un projet urbanistique voté à l’unanimité par la Ville d’Istanbul (l’AKP, parti du premier ministre Erdoğan, et le CHP, parti kémaliste). Griefs : le déracinement des arbres de cet espace vert et l’intransigeance avec laquelle les pouvoirs publics ont voté le projet (entre-temps, un tribunal administratif a suspendu la décision de la Ville d’Istanbul). La police est intervenue pour déloger sans ménagement les manifestants et, à cette occasion, comme c’est souvent le cas en Turquie depuis des dizaines d’années, on a assisté à un usage excessif de la force. La violence a rapidement pris le dessus et la protestation a pris une autre tournure depuis lors.

Différents groupes de protestataires se sont greffés à la manifestation de la première heure. La cible de ce mouvement hétéroclite – ultranationalistes, séparatistes kurdes, kémalistes et quelques conservateurs -, c’est l’“autoritarisme de l’AKP, incarné par Erdoğan”, et pour une partie d’entre eux l’“islamisation rampante de la société turque”. Il n’en a pas fallu plus pour que la presse occidentale fasse le parallèle avec les printemps arabes et réactualise sa ligne éditoriale de l’“agenda islamiste” d’un parti politique accueilli en 2002 avec une suspicion toujours vive.

Y a-t-il un “autoritarisme” dans le chef de l’AKP, en particulier d’Erdoğan ? Incontestablement. C’est même un des principaux marqueurs de la culture politique en Turquie, tous partis confondus. La révérence envers le chef, un certain culte de la personnalité, le jacobinisme. Bref, tout l’héritage de Mustafa Kemal, qui a instauré le système du parti unique et qui incarne le parangon de l’autoritarisme.

Toujours est-il que la Turquie d’aujoud’hui est une démocratie et que le parti qui, malgré les reproches qu’on peut lui faire, est et continue à être le premier acteur du renforcement de cette démocratie, c’est l’AKP. Au-delà de son excellent bilan économique (plus de dette extérieure et statut de membre contributeur du FMI depuis mai dernier) et du repositionnement de la Turquie parmi les acteurs de premier plan sur la scène internationale, d’importantes réformes ont été engagées sur le plan intérieur, comme la fin de la tutelle exercée sur la politique par l’armée, son renvoi dans les casernes et le renforcement de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Les coups d’Etat de 1960 et de 1980, en particulier, avaient permis d’établir une hiérarchie de valeurs : la protection d’une idéologie d’Etat (le kémalisme) d’un côté, les principes démocratiques de l’autre, les seconds ne devant être garantis que s’ils ne mettaient pas en danger la première. Par ailleurs, c’est l’AKP qui, contre le CHP, le MHP (parti ultranationaliste) et le BDP (parti kurde), a mené à bien, en septembre 2010, une révision constitutionnelle d’envergure qui a notamment permis l’instauration de mesures de discrimination positive, le renforcement de la protection des données à caractère privé, une plus grande prise en considération des droits de l’enfant, la fin de l’interdiction du droit de grève pour les fonctionnaires, l’interdiction pour des tribunaux militaires de juger des civils et l’instauration du recours citoyen auprès de la Cour constitutionnelle. C’est encore l’AKP qui est en passe de faire aboutir, malgré l’opposition du CHP et du MHP, mais avec le soutien du BDP, une solution politique au problème kurde : le PKK s’est retiré au-delà des frontières, mais plus fondamentalement encore, les mesures politiques dans le sens d’une égalité de tous les citoyens de Turquie se multiplient. Récemment, c’est l’utilisation du kurde dans le cadre d’instances judiciaires qui a été légalisée et un permis vient d’être accordé pour la création de la première université kurde de Turquie. Une commission est en train de plancher sur l’instauration d’une citoyenneté constitutionnelle qui remplacerait les références ethniques turques qui parsèment la Constitution (stigmate de l’héritage kémaliste).

Si la Turquie est une démocratie, on pourrait la qualifier de transitoire. Des mesures structurelles devraient êtres prises pour accélérer cette transition. II s’agit essentiellement de l’adoption d’une nouvelle Constitution civile, consacrant les droits et libertés de tous à l’aune du principe d’égalité, renforçant les pouvoirs locaux et impliquant des mécanismes de démocratie participative. Il se trouve que, là encore, le seul parti qui se mobilise résolument en faveur de cette nouvelle constitution, c’est l’AKP. Il doit faire l’objet de critiques, même sévères, quand c’est nécessaire, mais c’est clairement une force politique à soutenir. En outre, en tant que démocrates, nous devons respecter le résultat des urnes dont l’AKP est le produit plutôt que le mépriser. Si les élections ne résument pas la démocratie, elles en constituent la nécessaire prémice. Il ne faut pas l’enjamber, mais bâtir dessus. Le défi à relever par les manifestations actuelles est de transformer la contestation en un engagement politique en faveur de plus de démocratie et en une opportunité de pousser l’AKP à adapter son offre politique. Ce dernier semble en tous les cas déjà reprendre en main la situation : le vice-premier ministre a présenté ses excuses pour les violences policières (une attitude peu banale de la part du porte-parole d’un gouvernement qui estimerait “avoir toujours raison”) ; des responsabilités devraient être établies et des comptes rendus. C’est également une opportunité pour les autres partis de canaliser la contestation pour constituer une opposition crédible, nécessaire en démocratie.

Parmi les perdants des événements qui ont secoué la Turquie ces derniers jours, il y a aussi les médias nationaux qui, comme partout où des soulèvements se sont produits ces dernières années, ont été complètement dépassés par les réseaux sociaux, avec Twitter comme acteur principal de diffusion de l’information. Cela démontre à nouveau que la censure est le mode opératoire d’une période révolue.

De son côté, la presse occidentale, dans sa grande majorité, s’obstine à islamiser ou à orientaliser des questions politiques dès qu’elles mettent en scène des musulmans. Quand la Grande-Bretagne ou la Suède adoptent des législations qui restreignent la vente d’alcool à partir de certaines heures et/ou aux abords de certains lieux (ce qu’en 2012 le bourgmestre de la Ville de Bruxelles a déclaré vouloir faire aussi…), le débat porte sur la légitimité ou non de ces mesures en termes de santé publique. Quand c’est la Turquie qui adopte ces mesures, le débat porte sur l’“islamisation rampante de la société”. De même, durant toute une semaine d’émeutes en Suède, nous n’avons pas lu des titres comme “Printemps suédois à Stockholm”.

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1 Yorum

  1. comme d’habitude, avec un excellent français

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