Nous sommes dans les années nonante, cette époque peut être qualifiée comme étant le temps de l’insouciance. L’air pur parcourait notre corps, l’humanité était à son apogée, la chaleur était en chaque Homme: les enfants jouaient, s’amusaient… Les adultes se retrouvaient, discutaient… La notion de famille avait un sens: pas une semaine passait sans qu’il n’y ait une grande réunion autour d’un repas où la richesse et la pauvreté de l’un ou de l’autre étaient laissées au vestiaire. L’amitié était emplie de générosité, le mot amusement était parfaitement défini, personne ne se préoccupait de la situation de l’autre, ce qui importait était de passer du bon temps ensemble.
Nous sommes dans les années deux-mille, cette époque peut être qualifiée comme étant le temps de l’inconscience. Nous sommes en plein changement, humainement, nous allons vers un monde devenu individualiste dans une société qui se veut artificiellement solidaire. La richesse de l’un doit être exposée, la pauvreté de l’autre doit être dissimulée, l’Homme est devenu plus sectaire, on ne s’amuse plus avec le partage mais bien avec le déballage, la vantardise est devenue monnaie courante. Être en conflit avec l’autre est devenu plus jouissif qu’une bonne relation avec autrui. La jalousie de l’autre est primordiale, cela donne l’impression d’avoir un pouvoir, d’être d’un niveau supérieur. Il faut avoir plus que son voisin, il faut en montrer le maximum: la compétition est lancée, au bout, un seul vainqueur, soi! Le père et la mère à part, le reste de la famille n’est vu que comme concurrent, l’ami ne peut mieux réussir sous peine de déclencher du mépris. Les machines prennent de l’ampleur, l’Homme perd son ardeur.
Nous sommes dans les années deux-mille-dix, cette époque peut être qualifiée comme étant le temps de l’indécence. Google est notre cerveau, Facebook notre auto-biographie, chacun a sa page, nous voulons être likés alors que nous n’aimons plus l’autre. Individualistes, nous sommes. L’amour s’est enfui, il n’existe plus, enfin si, l’amour pour soi-même est bien présent, nous devons être valorisés derrière notre écran, nous devons dévaloriser pour ne pas être stoppés dans notre élan. Nous devons être beaux, tous les artifices sont utilisés pour y parvenir, nous devons impudiquement montrer nos qualités, enfouir nos défauts, réussir même si nous avons (secrètement) perdu, être parfait, du moins le faire croire.
L’homme suit le mouvement de peur d’être mis à l’écart, de ne plus faire partie de ce monde si vulnérable, tout va trop vite, s’arrêter et souffler est impossible, il faut courir vers un monde plus virtuel où les sentiments ne sont plus à travers le toucher mais à partir de touches de clavier. Tout est à distance : jouer, rire, discuter… Tout est devenu plus facile, trahir ne demande qu’un clic, pour aimer, il ne suffit que d’un ajout.
La vraie beauté est ailleurs, elle est moins visitée. Certains braves résistants refusent de vivre dans la déshumanisation, dans l’artifice, dans la fausse popularité, dans une facilité qui ne procure plus le plaisir de la réussite (par l’effort), ils n’ont pas peur de se retrouver avec un plus petit nombre: la qualité ne prime pas face à la quantité. Ce texte leur est dédié. Il n’est pas trop tard pour retrouver son innocence (Buradan kaçmak).