LE PIRE DE FACEBOOK

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Je suis Birol. En 1999, j’ai eu un grave accident qui m’a envoyé illico presto dans le coma. Mais ça y est, je suis enfin réveillé, je peux retourner jouer à la Super Nintendo, je me souviens d’une partie de Super Mario que je devais terminer. Mais ô désespoir, on m’a appris que la vie avait changé en 14 ans. Nous voilà donc en 2013, j’espère que ça ne va pas me porter malheur. J’apprends que beaucoup de choses ont évolué, la vie est plus facile mais les gens n’ont pas trop changé. À 26 ans, je me rends compte que finalement je ne veux plus passer de temps sur la console. Je dois même reconnaître que la vie en société me fait peur, je me retrouve donc à la maison. Mon frère me fait découvrir un site révolutionnaire. Curieux, je veux en savoir plus, il m’inscrit donc sur Facebook. Et là, je découvre le monde d’aujourd’hui. Pour commencer, je suis assez choqué que mon frère y soit inscrit, lui qui jurait ne jamais mettre de photos de lui sur Internet. Il me dit que les temps avaient changé et qu’il fallait à tout prix faire un tour sur Facebook.

Me voilà inscrit, j’ajoute toutes mes connaissances. Je suis assez triste, on m’accepte mais on me parle peu. Les gens semblent être devenus trop égoïstes. Je me concentre tout d’abord sur Aylin. En faisant sa thérapie sur Facebook, elle fait en quelque sorte la mienne, il suffit juste de la lire et tout de suite on a la joie de vivre! La vie de merde des autres me fait aimer la mienne malgré mes défauts! Aylin a créé sa page Facebook depuis qu’elle s’est fait larguer par son ex-amour éternel! Cela fait deux ans qu’elle ne parle que de lui à coups de « La page est tournée, tu n’es plus dans mes pensées, je vais regarder devant, avancer et ne pas faire marche arrière pour éviter de l’avoir profond». Évidemment, elle compte sur ses amies pour la réconforter avec des commentaires gnangnan. Elle sort aussi des phrases pompées chez de grands auteurs (Ismail YK par exemple) sans citer ses sources. Voulant l’aider, j’essaie de lui ouvrir les yeux, en lui faisant comprendre qu’en parlant de son ex sur son mur, elle prouve quelque part qu’elle ne l’a justement pas oublié, que ce n’est pas logique d’écrire avec insistance qu’elle l’a oublié, si c’était vraiment le cas, elle ne l’évoquerait plus tout simplement! J’ai eu une réponse rapide de sa part: elle m’a supprimé.

Il y a sur Facebook d’autres phénomènes anormaux: ceux qui s’envoient l’ascenseur: l’une dit à son amie à quel point elle est belle, l’autre lui répond qu’elle l’est encore plus. Et puis ça continue avec des cœurs: l’une envoie un cœur et l’autre en renvoie deux et ainsi de suite, à un moment donné on commence à avoir la nausée, on a cruellement envie que cela cesse. Il y a aussi celui qui a plus de mille contacts, lui n’hésite pas à informer de sa détresse, de sa solitude: « je suis en manque », quelques jours plus tard: « j’en peux plus là », une semaine plus tard: « bon je suis prêt à niquer n’importe qui, n’importe quoi, y a bien dans mes contacts une désespérée qui n’attend plus rien de la vie et qui voudra bien de moi? ». Râteau pour lui: mille contacts sur Facebook ne valent pas mieux qu’un ami imaginaire! Autre phénomène étrange: la personne qui publie ses photos (quasi toutes identiques avec une bouche en Duck face magistrale) et qui supplie ses contacts en privé de cliquer sur j‘aime et de lâcher des commentaires. Le succès est garanti. Facebook est aussi le lieu idéal pour les péteux, ils se doivent de partager leur vie de rêve: « Lundi: Ibiza, mardi: Barcelone, mercredi: Sidney, jeudi: Madrid, vendredi: Aldi ». Il y a aussi le gars populaire sur Facebook, tu te demandes comment il récolte autant de “likes” vu la stupidité de ses propos: “J’ai été mangé une frite: c’était bon”. Et voilà qu’une masse de commentaires s’ensuivent et des ‘likes” à tout va! Il prend vite la grosse tête et passe à l’étape supérieure: “J’ai été dans un resto chic cinq étoiles”, il reçoit encore plus de “likes”. Mais malheureusement, parfois ça devient dur pour lui et il écrit: “J’ai mangé une pomme de terre” et là, il n’a que quelques ‘likes”. Quelle injustice Facebook quand même.

On retrouve sur Facebook de tout même des personnes inquiétantes. Je pense à cette fille qui s’est mariée trop précipitamment et qui veut le faire savoir à tout le monde en écrivant de doux mots sur son mur: « Hé connard tu m’en as fait baver maintenant tu vas voir qui va l‘avoir dans le cul.». La personne concernée n’est pas sur Facebook mais les autres en profitent. Au fil des jours, on sent que le ton monte sur son mur contre son mari qui est peut-être encore sur Caramail mais en tout cas ne donne pas signe de vie sur Facebook! À un moment donné, tu te dis qu’il faut réagir et là tu lis son nouveau statut: «J’adore mon mari, il m’a offert des cadeaux ». Facebook, c’est aussi du positif! Revenons au négatif! Je voue une certaine haine à certains inscrits, ce sont ceux qui écrivent sous forme de mystère: vous savez ceux qui rédigent des trucs du genre: « J’y crois toujours pas » et là tu veux savoir, tu demandes à la personne et tu t’aperçois que tu n’es pas le seul qui se questionne. Après des masses de commentaires et des heures passées à chercher à savoir enfin, tu espères au fond de toi qu’il s’agit d’une information importante vu le temps passé dessus et ladite personne lâche finalement le morceau: « Bon allez, je le dis! Dans l’épisode de Kuzey Güney, Kuzey a embrassé Cemre ». Après avoir supprimé le contact, je ressens un petit soulagement, ça fait du bien de se débarrasser de certaines personnes.

Parfois, ça devient morbide, notamment avec celui qui espère avoir un cancer dans l’unique but d’avoir du succès sur Facebook: « JE VAIS MOURIR dans d’atroces souffrances, j’ai un cancer rare et incurable, moi qui voulait faire un régime je vais perdre plus que souhaité ». Il obtient une flopée de commentaires de soutien. Pour lui, c’est la gloire! Ça donne des idées aux autres qui veulent aussi profiter de leur propre malheur: « Bonne nouvelle pour mon régime, j’ai perdu 20 kilos d’un coup, on m’a amputé la jambe. J’ai tenté de me suicider mais avec une seule jambe, je n’ai pas réussi à sauter par la fenêtre! ». Évidemment, c’est la compassion totale de la part de ses amis! Une fois mort, il aurait même droit à de tendres messages sur son mur: « Mon ami, maintenant que tu es auprès de Dieu, j’espère de tout cœur que tu marches à ses côtés… à cloche-pied ». Il y en a même qui lui enverrait une demande dans l’espoir d’être accepté par un mort.

Sur le réseau social, on retrouve l’indétrônable ami original: «Gangnam Style yeah», «J’ai été à Paris manger une pizza», «J’ai été à Milan boire du vin», « Offfff il pleut, vivement l’été »… On retrouve aussi celui que j’avais eu la chance d’oublier grâce au coma mais qui s’empresse de m’ajouter et de me rappeler qui il est: « Hé, tu te souviens de moi? J’étais avec toi en primaire, je te charriais un peu, je suis directeur général maintenant! Et toi, c’est vrai que t’as rien fait depuis 14 ans? Ça va toi sinon ?». Et n’oublions pas celui qui nous les brise en ajoutant cinquante publications en une minute chrono! Et enfin, il y a toi et moi: des personnes qui savent utiliser Facebook normalement…ou pas!

Facebook est l’ennemi de la rareté mais c’est pourtant bien le fait de se faire rare qui attise la curiosité, qui fait garder un certain intérêt, avec le site on perd cet attrait. C’est même une sorte de drogue qui a comme effet de faire perdre la saveur des choses, de rendre l’amitié anodine, de rendre les vœux d’anniversaires banals. Facebook est clairement un facilitateur de communication mais il est malheureux de constater que ce n’est qu’un site futile. Le prix à payer est que l’on est fiché, que nos informations sont utilisées, à bon ou mauvais escient, par la société de Mark. Il y a aussi sur Facebook les contacts qui jouent les dragueurs lourds: “Bonjour Sibel, je t’ajoute parce que tu as une amie en commun et les amies de mes amies sont mes amies! Comment ça on ne se connait pas? Bien sûr que si vu que j’ai “liké” une photo de toi où tu apparaissais chez un de mes contacts donc je peux même te certifier qu’on a une belle amitié toi et moi, alors tu m’acceptes? Non? Hé ben pfff!”. Une étude sérieuse a révélé que les personnes encore absentes sur Facebook sont de probables psychopathes ou des personnes qui ont quelque chose à cacher. Je dirais plutôt de braves résistants!

C’est décidé je vais me désinscrire de Facebook et retourner dans mon coma! Non je plaisante, je vais aller au parc et admirer les fleurs, la vraie vie.

Rock’n Erol

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