Au milieu des années 80, j’ai mis les pieds pour la première fois sur le sol terrestre, c’était à St-Josse. Pourtant, je n’y ai jamais vécu. Mais j’y suis retourné quelque fois durant ma vie pour rendre visite à des membres de ma famille.
J’ai pas eu cette chance de grandir entouré de Turcs durant ma vie. La faute à papa. Il voulait que l’on ne se sente jamais différent des Belges. À vrai dire, il a réussi son objectif avec brio mais il faut reconnaître une grande vérité: je me suis senti différent des Turcs de Belgique.
Mon père a décidé de nous inscrire dans une école primaire catholique, une grande première pour l’époque. Le directeur à la base était contre notre inscription apprenant notre appartenance à la religion musulmane. Mais mon père a été convaincant en certifiant que cela ne poserait pas de problèmes. Et ce fut le cas. Le directeur a été surpris de la bonne intégration et a permis par la suite l’inscription d’autres élèves musulmans.
Ce qui posait problème chez moi, ce n’était pas mon identité belge qui était parfaitement mise en place. Le racisme me frôlait mais n’a jamais été cause d’exclusion. C’était mon identité turque qui n’était pas bien définie.
Aujourd’hui, beaucoup de familles turques quittent ou ont quitté leur quartier à forte population turque sans que cela gêne quiconque. Mais au début des années 80, c’était vu comme une insulte par les autres: “Qu’est-ce que vous allez faire ailleurs? Pourquoi vous vous éloignez de nous?”. En grandissant loin de la communauté turque, je n’ai pas pu avoir de voisins turcs durant mon enfance. À vrai dire, ce n’était pas un problème car j’avais des amis et je me fichais de l’origine de ceux-ci.
Un autre choix de mon père qui a créé une onde de choc à l’époque: voyager ailleurs qu’en Turquie. Si ça se fait beaucoup aujourd’hui chez les Turcs, avant c’était rare et malvenu. D’une part par la famille qui vivait en Turquie, pensant que l’on préférait la plage en Espagne à eux. D’autre part, ceux d’ici qui se demandaient ce qu’on pouvait bien faire dans un pays qui n’est pas la Turquie et soulignant que la plage y était aussi présente en Turquie.
Les voyages en Turquie se faisaient sur plusieurs années. C’est avec plaisir que je voyais mes cousins, cousines là-bas. Mon mode de vie était logiquement différent mais l’entente était au beau fixe. Et puis, le côté positif est qu’une bonne partie de ma famille se trouvait à Eskisehir, une ville assez moderne pour un lieu qui signifie “Vieille ville”. Par contre, mes grands-parents maternels vivaient à Emirdag. Je ne me souviens pas avoir admiré cette partie de la Turquie. Mis à part le Türbe de Karacalar.
Évidemment, mes parents rendaient visite à la famille et aux amis turcs vivant en Belgique. Et je m’entendais bien avec les jeunes de mon âge. J’ai d’ailleurs de très bons souvenirs avec deux ou trois personnes. Mais avec une partie, en grandissant, je n’arrivais pas à m’identifier à eux. Et vice et versa.
Péjorativement, on avait été qualifié de famille différente par de nombreux turcs. Bien sûr, on peut très bien s’intégrer et aimer la Belgique comme on aime la Turquie tout en vivant à St-Josse par exemple. Je me suis rendu compte que mon identité turque était aussi forte que mon identité belge. Il ne faut pas choisir d’être belge ou turc. Il faut choisir d’être soi. Si on met une de ses identités de côté, alors on perd une partie de soi, on se perd.
Je n’ai pas cherché à être comme les autres Belges, j’ai été un belge. Tout comme je n’ai pas cherché à être comme les autres Turcs de Belgique, j’ai été un turc mais ne connaissant pas le mode de vie turc car vivant en Belgique.
Il ne faut pas choisir qu’une seule de ses identités tout comme il faut éviter l’assimilation. Il faut se servir de tout ce qu’on a pour être ce qu’on est.